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1/ PALACE

   Quand on entre dans la ville par la porte de la République, le premier théâtre sur lequel on tombe est un théâtre bien particulier : le Palace. À l'ombre de grands arbres, derrière des terrasses souvent bondées, les files d'attente y sont généralement très longues. Et pour cause, au Palace, il y a des têtes connues: Cartouche, les Décaféinés, Artus et Cartman, Alex Ramires, Laura Laune ou encore Oldelaf. Le Palace est le temple du divertissement, de l'humour, des one man show et des comédies de boulevard avec des artistes que l'on peut voir souvent à la télévision. Ils sont ce que certains appellent péjorativement les « vus à la télé ».

   En lisant plusieurs articles, notamment ceux du site internet lebruitduoff.com, un site qui propose des critiques de spectacles, on sent bien que le Palace (ou tout autre théâtre du même acabit) dérange une certaine catégorie de spectateurs dans le paysage artistique avignonnais. Yves Kafka déplore ces « deux ''gros'' théâtres de ''divertissement'' » que sont le Palace et le Paris et « dont le premier a jouï pour son installation de subventions substantielles accordées généreusement par la mairie Roig  pour encourager un divertissement de soi (pour eux « divertir » c’est « dégager un temps de cerveau humain disponible » pour la consommation, Cf Le Lay, président de TF1 en 2004). […] il a y là une « pollution » intempestive qui abuse le public et le détourne de ce qu’il pourrait découvrir de beaucoup plus stimulant. »*

   Le théâtre de divertissement (ôtons les guillemets et assumons ce mot qui n'est pas une insulte) a autant sa place à Avignon Off que toute autre catégorie de spectacle. Quand bien même les artistes seraient issus de la télévision. Au-delà de la critique des entreprises type Palace, ce genre de commentaire me semble être le reflet d'une pensée bien ancrée chez une bonne partie des acteurs du spectacle vivant : le divertissement, c'est mal, plus encore s'il vient de la télé.

   Évoluant dans le milieu de la danse contemporaine, je me suis souvent senti rabaissé et moqué en raison de ma consommation de télévision, en particulier mon goût prononcé pour la télé-réalité (si la télévision représente l'enfer, la télé-réalité en est le diable!). Ça rend con ! Ce qui me rend con, ce n'est pas le divertissement. C'est d'entendre me dire que ça rend con par des gens pas plus intelligents que ça. Il n'y a pas qu'une seule télé, comme il n'y a pas qu'un seul théâtre. Il y a des ignominies dans toutes les catégories.

Culture populaire ou culture de masse ? Avant-garde ou branlette intellectuelle ? Même dans la masse on peut trouver son compte.

   Divertir c'est détourner, certes. Mais les chemins de l'esprit sont tortueux, et si pour certains les divertissements mènent à des impasses, pour d'autres ce ne sont que des haltes. Des bouffées d'air pour mieux parcourir les autres chemins et savourer d'autant plus les voyages.

 

   Et c'est à partir du Palace, à l'entrée de la ville, que commencera le voyage de Queen Icarus. Le parcours sera simple : une ligne droite. Remonter la rue de la République, traverser la place de l'Horloge et rejoindre le Palais des Papes.

   Du Palace au Palais, donc. Du Off au In. Du divertissement « polluant » à l'élite culturelle.

 

   Il est 13h30.

   Je me tiens entre l'office du tourisme et les grandes affiches du théâtre. A quelque pas seulement se tient le stand de Gil Alma, une des têtes d'affiche, vedette du petit écran. Je porte une chemise bleue et un pantalon noir. Anahi m'encourage une dernière fois avant que j'entame mon rituel de départ. Celui qui fera apparaître Queen Icarus aux yeux du monde. Ce sera toujours le même.

 

   J'enlève mes chaussures,

   J'ouvre mon sac,

   Musique,

   Je déboutonne ma chemise,

   premières lueurs rouges, premiers regards

   Je retire mon pantalon,

   J'enfile les talons,

   Ceins la couronne.

   Les yeux regardent. Il n'y a que cela à faire, rien de plus à attendre. C'est là. Queen Icarus.

  Certains passants, devenus spectateurs, ou témoins, viennent me demander dans quel spectacle je joue. Anahi vient alors à leur rencontre et leur explique la performance.

C'est parti, direction le Palais.

 

   La rue de la République est très grande et fermée à la circulation. J'en profite pour déambuler au centre. Au sol, le marquage de la route me fascine. Une ligne mixte ; continue à gauche, discontinue à droite. Et au centre une ligne rouge, un fil déroulé pour m'indiquer la voie. Merci Ariane.

 

   Les premiers commentaires se font entendre.

   Stylé !

   Il doit avoir chaud !

   Pourquoi tu fais ça fréro ?

 

   Je croise bon nombre de compagnies qui tractent, en costume elles aussi. A certains carrefours, j'entends les discours se contaminer et parfois je remarque de jeunes tracteurs se voir refuser de nouveau un de leurs prospectus.

   La gestion de la chaleur est à ma surprise moins compliquée que je ne le pensais. Mais c'est un jour plutôt doux. Le soleil est dans mon dos, me porte aujourd'hui comme un ami.

   Je m'autorise quelques pauses, assis sur le rebord d'une fontaine. Wikipedia fact : la statue qui trône en haut du monument est celle de Paul Pamard, maire d'Avignon de 1853 à 1865. Je reprends la route. Mais au bout d'un certain temps, à marcher tout droit, je me perds dans mes pensées. La vue devient floue et je ne remarque plus les regards qu'on porte à Queen Icarus. Dèjà?

   Alors je fais une escale dans un magasin de chaussures. Hmm... toutes trop plates !

 

   Au bout d'une heure et quelques minutes j'arrive en haut de la rue. Je me retourne et regarde le chemin parcouru. Toujours regarder le chemin parcouru !

   Sur la place de l'Horloge il y a beaucoup plus de monde. Il faut dire que c'est un spot rêvé pour faire sa promotion. Il est environ 14h35, beaucoup de personnes sont attablées en terrasse. Autant de cibles qu'il ne faut pas manquer. Tract, tract, tract.

 

   Petit détour par la mairie. Rien de très intéressant à évoquer ici. Cela me faisait plus rire qu'autre chose que d'y entrer.

 

   Mais en me rapprochant du Palais des Papes, les choses se corsent quelque peu. La rue devient pavée et non, ce ne sont pas des petits pavés bien alignés. Mes talons de quinze centimètres n'aiment pas cela et luttent à chaque pas pour trouver les bons appuis. Ça chancelle, ça vacille. Comme la flamme d'une bougie qui peine à trouver l'oxygène dont elle a besoin pour ne pas s'éteindre. Qu'on ne me souffle pas dessus ! L'accès au palais ça se mérite. Je me concentre entièrement sur mes pieds, jette de temps à autre quelques regards à l'édifice. J'ai l'impression qu'il me nargue. Qu'il me défie. Mais j'arrive finalement au centre de la place, non sans effort. Il n'y a pas grand monde. Et c'est ici que s'achèvera la première procession de Queen Icarus.

Rituel inverse, ce sera toujours le même.

 

   J'enlève mes talons,

   J'ouvre mon sac,

   J'enfile mon pantalon,

   Reboutonne ma chemise

   Remets mes chaussures

   Ôte ma couronne

   Silence

 

   Les pieds douloureux, je regarde le Palais des Papes. En m'excusant presque.

 

   Pardon Palais, je viens du Palace.

* Yves Kafka,"Avignon Off 2016 : le festival d'un chroniqueur enthousiaste", 30 juillet 2016. [en ligne] https://lebruitduoff.com/2016/07/30/avignon-off-2016-le-festival-dun-chroniqueur-enthousiaste/

6 juillet - 30°C - Témoin : Anahi - Durée : 2h

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