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15/ NACELLE

27 juillet / 36°C / Témoin : Laurène / Durée : 2h

Procession in Avinon

   Cela fait déjà quelques temps que je compte les jours qui me séparent de la fin du périple. Et je la vois enfin qui s'annonce, cette fin. Deux processions. Il reste deux processions.

   Aujourd'hui je voudrais prendre de la hauteur, m'approcher un peu plus du soleil et voir s'il est aussi brûlant qu'on le dit. Pour cela, il me faudra sortir des remparts, pour la première fois. Car il y a à l'ouest de la ville, sur les bords du Rhône, une grande roue sur laquelle je ne suis jamais monté. Cinquante mètres, ça me rapprochera bien du soleil...

 

   Rituel de départ devant l'Atypik théâtre. Juste avant de commencer, une compagnie s'empare de la place pour faire la promotion de leur spectacle, en chanson. J'attends qu'ils finissent.

   Mon rituel est de plus en plus brouillon ; j'oublie la dynamique étirée dans laquelle je dois l'opérer. Là je suis exécutant, je sors les accessoires de manière machinale.

 

   La rue de la Bonneterie a été très agréable à parcourir. Je sens les gens plus réceptifs qu'à l'accoutumée. Est-ce parce qu'on est à la fin du festival, qu'il y a moins de monde, moins d'oppression. Beaucoup de sourires. Des spectateurs et de ma part. J'ai remarqué que quand une personne regarde Queen Icarus avec un air étonné et méfiant, un sourire suffisait à désamorcer l'inquiétude. Je souris et aussitôt on me renvoie le sourire. Pas de parole, rien à dire. Juste de la bienveillance.

 

   Sur le chemin, deux personnes m'interpellent et me demandent une interview. C'est TV Montréal. Et c'est Laurène, un peu prise au dépourvu, qui répond aux questions et présente la performance dans la rue. A la fin de l'interview, la journaliste me souhaite une bonne continuation et une belle errance. C'est beau, ça me touche.

 

   Impossible de ne pas vous prendre en vidéo, j'entends venir d'un magasin.

 

   Qu'est-ce qu'il fait ? C'est un homme, pourquoi il porte des talons ? C'est vrai il fait ce qu'il veut.

 

   Il y a des réactions qui me font rire. Comme les personnes qui essaient de me prendre discrètement en photo. Elles cachent leur téléphone, font mine de rien, snap et repartent.

 

   Un peu plus loin sur la route, une femme s'approche.

   Bon, je peux vous poser une question ? Cela fait plusieurs fois que je vous croise, et je n'arrive pas à saisir la démarche artistique ! Il faut que vous m'expliquiez !

   Laurène est là qui lui explique tout. D'accord, parce que j'avais vraiment envie de savoir. J'ai tendance à tout interpréter et là je ne comprenais pas. Je me demandais s'il interrogeait la question du genre ou de la sexualité. Je me demandais.

   Le genre, la sexualité. Oui, aussi. Si cela vous raconte des choses à ce sujet, oui, aussi.

   Enthousiasmée par la performance, la dame repart.

   Je suis heureux d'avoir fait cette rencontre. Il y a celles et ceux qui regardent et reçoivent sans chercher à poser de questions. Se posent eux.elles-mêmes les questions. Celles et ceux qui n'ont pas besoin de réponse. Celles et ceux qui en ont besoin et demandent. Le témoin devient alors primordial ; il.elle satisfait la curiosité de celles et ceux qui ont soif d'explications.

 

   Passage rapide sur la place de l'Horloge. Je descends la rue Saint-Agricol, vers mon objectif que j'aperçois au loin.

   Je croise une comédienne que je connais quelque peu. Mais elle ne me reconnaît pas. Elle me regarde pourtant et secoue la tête, comme dépitée. Bon...

   Je passe devant la galerie du Petit Louvre et cette fois j'y entre. Rien n'a vraiment changé depuis quatre ans. Là-bas sur un siège, un des stagiaires du théâtre. Je le reconnais bien, nous avons travaillé ensemble à l'époque. Mais non. Lui non plus ne me reconnaît pas. Bon...

   Tout de même, je suis content de les avoir reconnus.

 

   Cette procession partait plutôt d'un bon pied, mais arrivé rue Joseph Vernet on peut entendre « tiens encore un illuminé ! ». Et là un homme approche sa main de mes fermetures éclairs. D'un geste je la chasse et il me regarde avec un air de défi, tente de m'intimider. Je continue mon chemin.

 

   Sur la place Crillon, une jeune femme : Dites-lui qu'il est splendide !

 

   Je sors des remparts. Pour la première fois Queen Icarus se retrouve en dehors des murs de la ville. En dehors du labyrinthe du spectacle vivant. Au delà de la muraille il y a un tout autre monde.

   Devant s'élève et tourne la grande roue. Nous y montons pour six tours.

 

ATTENTION !

Il est interdit pendant la marche

de s'appuyer sur les portes

de se mettre debout

de sortir les bras

et de se pencher

à l'extérieur des nacelles.

 

   Premier tour.

   La nacelle s'élève et tout Avignon m'apparaît comme sur une carte postale. Notre-dame des Doms et le Palais rayonnent. Les tuiles rouges des toits luisent au soleil. Et la nacelle redescend.

   Deuxième tour.

   La nacelle s'élève et les eaux du Rhône reflètent le ciel parsemé de quelques nuages. Aucune plume à la surface, Icare se porte bien. Et la nacelle redescend. 

   Troisième tour.

   La nacelle s'élève et, combien fait-il tout là haut ? Un million de degré Celsius pour la couronne solaire... Je me répète si je dis qu'il fait chaud ?

   Un arrêt à cinquante mètres. Faut-il redescendre ? Qu'y a-t-il en bas ? Je suis bien ici même si ça tangue quelque peu. Et la nacelle redescend.

   Quatrième tour.

   La nacelle s'élève et le festival se termine. Les compagnies entrevoient le bilan de leur aventure. Et la nacelle redescend.

   Cinquième tour.

   La nacelle s'élève et déjà d'autres compagnies préparent le prochain mois de juillet. Et la nacelle redescend.

   Sixième tour.

   La nacelle s'élève et ainsi va la vie. La nacelle redescend.

 

Florilège de commentaires facebook :

 

« S'il pouvait aller le faire au Bois de Boulogne pour éviter que mes enfants voient ce spectacle, merci »

« Dégueulasse... »

« L'est pas épais dit donc, il a dû faire "comme j'aime" haha » (tiens, première remarque sur mon poids...)

« Ça va pas en s'arrangeant. »

 

Ainsi va la vie et la nacelle s'élève.

 

« Il n'y a rien de choquant !! »

« C'est le Festival !!!!! Un peu de fantaisie ne fait pas de mal dans cette ville assez dormante d'habitude !!!! »

« En effet les gens sont de plus en plus fermés d'esprit... Aucune tolérance »

 

Dites-lui qu'il est splendide...

 

et la nacelle...

et la nacelle...

et la nacelle...

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