15/ DÉSERT
25 juillet / 36°C / Témoin : Louise / Durée : 2h
Il se passe quelque chose dans les rues d'Avignon. Ou plutôt il ne s'y passe plus grand chose. Le festival In s'est clôturé hier et depuis les festivaliers ont déserté la ville, bien que le Off se poursuive jusqu'au 29 juillet. C'est toujours comme ça, le Off souffre de la clôture du In, révélant ainsi une pensée hiérarchique toujours présente à propos des deux événements. Le In s'est arrêté, il n'y a donc plus rien à voir... Les rues se vident, les compagnies cherchent désespérément des survivants à tracter ou se tractent entres elles. Pourquoi le Off continue-t-il ? Le site lebruitduoff.com s'est posé la question.
« Allez le OFF c’est fini aussi ce soir, inutile de se voiler la face… Seuls restent les suceurs de glace et autres bofs qui courent les spectacles de la rue de la Ré [rue de la République]. Les autres, les vrais festivaliers, mais aussi les diffuseurs et les tourneurs, partent ou sont sur le point… Merci AF&C [association coordinatrice du festival Off] de s’obstiner à décaler les dates du OFF par rapport à celles du IN ! 23 jours au lieu de 18, c’est pour pouvoir justifier le coût exorbitant des créneaux ? »
On ne reviendra pas sur le snobisme écœurant de ce commentaire à l'égard des « faux festivaliers ». Jugements de valeur, encore et toujours, de personnes qui se pensent être détenteurs de la « vraie culture ». Il n'empêche que la question des dates du Off reste posée. Plus de spectacles, plus long que le In, plus, plus, plus.
Le rituel de départ commence place de l'Horloge. Il est 16h et il n'y a pas grand monde. Il y a encore quelques jours, il était presque difficile d'y circuler tant elle était bondée. Les festivaliers, les marchands de ballons, de glaces, de barbes à papas. Les grands cercles de spectateurs formés autour des artistes de rue.
Il reste pourtant encore cinq jours.
L'apparition de Queen Icarus ici a de quoi surprendre. La place de l'Horloge, c'est d'ordinaire un lieu de spectaculaire. Souvent ce sont des danseurs de hip-hop ou de break-danse qui l'investissent, avec leur chorégraphies dynamiques et leur medley de musiques grand public.
Des témoins s'approchent et regardent. Il n'y aura pas plus que ma présence et la musique qui émane de l'enceinte bluetooth que je porte. Pourtant ils regardent. Et je les regarde. C'est tout aussi spectaculaire.
Il me reste quelques tickets de carrousel de la dernière fois. J'en profite pour faire quelques tours.
Des enfants, me voyant sur mon cheval blanc, débattent. C'est un faux ? Non c'est un vrai ! Pourquoi il est comme ça ? C'est un roi.
Sur le chemin qui mène au Palais des Papes, la musique qui m'accompagne s'arrête. J'étais pourtant sûr d'avoir rechargé l'enceinte ! Ça sent vraiment la fin, même la musique se fait la malle. J'utilise une batterie portable, mais en vain. La musique ne retentit plus. Soit, j'avancerai en silence. Et quelle étrange sensation ! Je me sens dépossédé de quelque chose et me rends compte que la musique était une barrière, une protection. Sans elle, j'entends et reçois de manière frontale les commentaires alentours.
Il doit avoir chaud...
Qu'est-ce que c'est que ça !
Damn ! What the fuck !
Oui le monsieur est habillé bizarrement.
Ce n'est pas violent mais je les entends distinctement pour la première fois. La musique était un filtre, un moyen de distiller la réalité de ces commentaires.
Je suis nu.
Sans musique, c'est toute une partie de Queen Icarus qui s'évapore.
Et sans enceinte, je ne sais pas quoi faire de mes bras. Je suis démuni et les tient devant moi, comme un chirurgien se lavant les mains avant d'enfiler ses gants.
Le chemin de la procession n'est pas très long. Il faut dire que les pavés des rues me ralentissent beaucoup. J'arrive près du théâtre du Rouge Gorge. Là il y a une petite place, un lieu où souvent les artistes se produisent pour promouvoir leur spectacle. Mais là encore, personne. J'en profite pour faire une pause, m'asseoir sur le relief d'un mur. N'attendez rien de plus que ma présence.
Je termine la procession dans le jardin urbain V, derrière le Palais. C'est calme et ombragé. Personne ne voit Queen Icarus disparaître. C'est tout aussi spectaculaire.