14/ INTERLUDE 3
La première fois que je l'ai vu, perdu au beau milieu de la foule, j'ai cru te reconnaître en lui. La démarche hésitante d'un veau qui vient de naître, mais le regard noir d'une bête prête à charger. La sensation du déjà-vu m'a cueilli, comme un cauchemar qui vous revient dans la face. J'aurai pu ne pas m'arrêter, ou bien lui tenir tête. Mais je ne suis pas de ceux qui cherchent à le combattre, ni à le fuir, cet être fabuleux, mi-homme mi-stigmate. C'est une de ces chimères près desquelles on ferait bien des haltes.
Je me suis offert à lui qui s'est nourri de ma chair et de mes kilomètres parcourus. Lui ai donné ce qui pouvait être donné, ce qui n'était pas encore perdu. Et le souffle était chaud, son odeur exaltante. Il m'a déchiré la peau, dévoré chacun de mes muscles, s'est empiffré de mes rires avant de m'empaler de ses cornes acérées. Et une fois l'animal rassasié, endormi, j'ai repris mon chemin. Plus tard je l'ai entendu mugir au loin. Quelqu'un d'autre se serait donc charger de l'achever.
J'avais cru te reconnaître en lui. Mais il ne te ressemblait pas tant que ça.