13/ PONTS
22 juillet / 31°C / Témoin : Laurène / Durée : 2h
Les nerfs lâchent. L'optique, le trijumeau et les autres. Il me faut une procession loin du monde, loin de l'effervescence du festival. J'irai donc au nord de la ville, sur le rocher des Doms, qui abrite un très beau parc.
J'effectue le rituel de départ tout en bas, entre le Musée du Petit Palais et le Palais des Papes. Juste à côté, des touristes montent dans un petit train et s'apprêtent à visiter la ville. J'ai toujours été fasciné par ces petits trains touristiques. Je me revois enfant, en vacances au Puy-en-Velay avec ma famille ; il y en avait toujours qui circulaient. Je voulais absolument monter dedans ! Je n'avais que faire des explications des audioguides, je voulais juste être à bord du petit train et parcourir la ville.
Il fait plutôt doux aujourd'hui. C'est agréable, il y a même du vent. Je me dirige tranquillement vers le parc, mais je passe d'abord devant la cathédrale Notre-Dame des Doms, majestueuse, qui fait de l’œil au Palais son voisin. Sur le parvis, le Christ sur la Croix entouré d'anges. Je fais le tour, le regarde, le contemple. Et sur les petites marches qui élèvent les statues, un tag : « Agenouille-toi devant lui ». L'injonction m'est d'une extrême violence. Je résiste et reste debout, mes jambes vacillant sur les talons.
Les grilles du porche de la cathédrale sont ouvertes. Monsieur ?
Je monte les marches et m'apprête à entrer. Monsieur ?
J'entends une petite voix, timide, qui me parvient de derrière. Je me retourne ; c'est celle d'un enfant, à peine cinq ans. Il tient un appareil photo dont l'objectif est aussi grand que sa tête.
Monsieur, je peux prendre une photo ?
Il est des photographes auxquels on ne peut rien refuser. Snap !
Vous voulez voir la photo ?
Il me tend l'appareil et me montre le cliché. C'est sans doute le plus beau qu'il m'est été donné de voir depuis le début du festival. Et l'un des plus beaux moments vécus aussi. Queen Icarus immortalisée par un enfant. Vous voyez que ça ne fait pas peur, monsieur.
J'entre dans la cathédrale. Toujours ce même plaisir d'entrer dans ce genre d'endroit, apaisant et frais, même si je sens autour de moi une atmosphère un peu plus touristique que la dernière fois. Je m'assieds sur un banc et prends pour moi un temps silencieux. Je ne vois pas grand chose ; la lumière du dehors m'a aveuglé et je n'arrive pas à m'habituer à la pénombre.
Je me lève, Monsieur !
et m'apprête à visiter un peu plus le lieu. Monsieur !
J'entends une grosse voix, sèche, qui me parvient de derrière. Je me retourne ; c'est celle d'un homme qui vient vers moi en me pointant du doigt.
Monsieur, vous sortez d'ici !
Je suppose qu'il s'agit de la personne responsable de la tenue de la cathédrale.
Monsieur, vous sortez d'ici ! – Pourquoi ?
Vous enlevez votre couronne et vous sortez d'ici ! (je n'ai pas enlevé la couronne)
Vous n'avez pas une tenue appropriée ! – Quelle est la tenue appropriée ? (je n'aurai pas la réponse... à chercher sur Wikipédia)
On n'est pas au théâtre ici, on n'est pas au spectacle, on est ici pour prier ! Toi ta casquette ! (il s'adresse à un adolescent qui s'exécute et ôte sa casquette).
Snap !
Pas de flash ! (à des photographes)
Vous sortez monsieur ! On est ici pour prier.
Je ne veux pas l'offenser. Je me dirige vers la sortie mais un homme (avec casquette) intervient.
Tout le monde a le droit d'être ici, c'est un lieu pour tous.
Non il sort !
Vous faites preuve d'un manque de tolérance.
Je ne fais qu'obéir à ce qu'on me dit de faire. Il doit sortir.
Je sors. Reviens devant le Christ crucifié. Devant le tag.
Et je m'agenouille.
Sa couronne est d'épines, la mienne en plastique.
Your paradise is not for me.
Dans le jardin des Doms, le vent souffle. L'air qui circule me fait du bien, la verdure aussi. La vue qu'on a d'ici, en hauteur, est assez splendide. Au loin, on aperçoit les montagnes sous le ciel bleu.
La ballade aurait pu être rafraîchissante et agréable, mais je ne me sens pas le bienvenu dans ce parc. C'est un lieu reculé de la ville que le festival n'a pas pu atteindre. Pas l'ombre d'un tract.
Je ne veux pas importuner ceux qui se reposent.
Des gardiens demandent à Laurène ce que je fais.
Il se ballade.
Ça pourrait gêner la vue des spectateurs, qu'on lui répond.
Au centre du parc, une statue gît au milieu d'un point d'eau. C'est une nymphe qui danse. Elle me fait penser au tableau de Henry James Draper, Lamentations pour Icare. Sur un rocher au milieu de la mer, Icare est allongé, majestueux, les ailes déployées. Mort et exclu des cieux. Trois nymphes sorties des eaux l'entourent et le pleurent.
Ce tableau me fascine. Le peintre y figure Icare comme un héros tragique qu'on doit pleurer et rend justice à sa quête de liberté. Rend justice à nos espoirs déçus, à nos tentatives ratées, à nos échecs qui se voient trop souvent jugés.
Qui sont les anges ? Sûrement pas moi.
Snap ! Snap ! Snap !
De fil en aiguille, je me retrouve à l'entrée du pont Saint-Bénézet, celui qu'on appelle plus communément le pont d'Avignon (on y danse, on y danse). Pour y poser les pieds, il faut s'affranchir de la somme de cinq euros. Je paie.
Connaissez-vous l'histoire du pont d'Avignon ? Selon la légende le berger « Bénézet descendit en 1177 des montagnes de l'Ardèche en se disant envoyé par Dieu pour construire un pont à Avignon […] Raillé par les avignonnais, le berger est mis au défi par le prélat de charger une pierre énorme sur ses épaules et de la jeter dans le Rhône. Bénézet n'hésite pas un instant, et sous le regard de la foule ébahie, soulève le bloc de pierre avant de le jeter dans l'eau, aidé dit-on par une intervention divine, et même par des anges baignés d'une lumière dorée. » (source : avignon-et-provence.com).
Le pont comportait à l'origine 22 arches. Il n'en subsiste aujourd'hui, après de nombreux effondrements, que quatre. Je n'en savais rien et la première fois que je l'ai vu, il y a quatre ans, cela m'avait bien surpris. Tiens, il n'est pas fini... je m'étais suis dit. Et avant ce jour, je ne l'avais jamais arpenté.
Un homme commente : Vous jouez quoi ? Vous êtes le Roi Lear ? Vous êtes Hamlet ? Il y a forcément du Shakespeare là-dedans !
What an amazing performance ! entend-on de la part de touristes anglophones.
Je m'avance et bientôt me retrouve au dessus des eaux du Rhône. Brecht disait « On dit d'un fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l'enserrent. »
Au bout du pont, une sensation de vertige me saisit. Icare, où es-tu ?
Je commence le rituel de fin entouré de quelques témoins. En me rhabillant, je pense à tous ces ponts qu'il nous faut encore construire.
À ceux aussi qu'on a détruits, ceux qu'on n'a jamais su reconstruire.
À ceux aussi qu'on n'a pas finis et ceux qui doivent rester à jamais infinis.
MADONNA - Paradise (not for me)
I can't remember
When I was young
I can't explain
If it was wrong
My life goes on
But not the same
Into your eyes
My face remains
(I've been so high)
I've been so down
(Up to the skies)
Down to the ground
I was so blind
I could not see
Your paradise
Is not for me
Autour de moi
Je ne vois pas
Qui sont des anges
Sûrement pas moi
Encore une fois
Je suis cassée
Encore une fois
Je ne crois pas
I've been so high
I've been so down
Up to the skies
Down to the ground
There is a light
Above my head
Into your eyes
My face remains
I've been so high (been so high)
I've been so down (been so down)
Up to the skies (to the skies)
Down to the ground (to the ground)
I can't remember
When I was young
Into your eyes
My face remains
Into your eyes
My face remains
I've been so high (been so high)
I've been so down (been so down)
Up to the skies (to the skies)
Down to the ground (to the ground)
I've been so high (been so high)
I've been so down (been so down)
Up to the skies (to the skies)
Down to the ground (to the ground)