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8/ MINOTAURE

15 juillet / 35°C / Témoin : Louise / Durée : 2h30

Procession in Avignon Minotaure

   J'entends dire que, malgré le gros week end du 14, les salles ne remplissent pas tant que cela. Beaucoup de monde dans les rues, mais peu dans les théâtres. Et ce n'est pas prêt de s'arranger puisque aujourd'hui c'est jour de finale. De foot. J'essayais d'éviter au maximum le sujet, n'étant pas très fan de ce sport. Je n'ai rien contre le sport en lui-même, j'en ai plus contre l'engouement disproportionné qu'on a pour lui, et que je ne comprendrai jamais (#TeamBasket).

   Mais être témoin de ce type d'événement à Avignon me fait me poser pas mal de questions. Le théâtre et l'art du spectacle vivant en général peut-il rivaliser avec le football ? J'entends dire qu'il y a certaines salles à Avignon qui annulent même des créneaux pour le match ! Il a quelque chose qui m'échappe. Et le Off profite aussi. Une compagnie se plaint sur les réseaux sociaux :

 

« Nous n’avons rien contre l’engouement général pour la coupe du monde. Toutefois, en décidant de faire Avignon cette année, nous pensions prendre part à un festival de théâtre. Or, nous découvrons avec stupeur que les matchs de la France sont retransmis au Village du off, espace de rencontre au cœur du festival. Au lieu de nous soutenir, la direction nous plante un couteau dans le dos en allant à l’encontre de ses missions. Lorsque nous avons évoqué ce problème avec un employé du off, c’est avec un aplomb non dissimulé qu’il explique ce choix :
« Si nous ne diffusons pas le match, le bar ne tourne pas et on risque de faire payer plus cher l’inscription au festival pour les compagnies » (nous déboursons déjà pour cela 313€, sans compter les milliers d’euros de location de salle, de logement, etc...).

Tout est dit.

Encore une fois, les compagnies trinquent.
Encore une fois, Jean Vilar se retourne dans sa tombe. »


   Trois heures avant le match, les terrasses de la Place Pie sont bondées, envahies de drapeaux français et de personnes maquillées aux couleurs du pays. Le rituel de départ commencera juste à côté, derrière les Halles.

   Plus je me rapproche de la place Pie, plus les cris et les bruits de cornes de brume me parviennent. Ça sent l'excitation. Queen Icarus est aux abords de la foule et tente de s'y frayer un chemin.

 

   Petit florilège des plus beaux chants de supporters à l'égard de Queen Icarus :

 

« Aux armes citoyens ! Formez vos bataillons ! »

« Sale pédé »

« Tarlouze »

« Tu me dégoûtes »

« Pédale »

« Et la matraque on te la fout dans le cul » (repris en chœur)

« Marchons, marchons ! qu'un sang impur abreuve nos sillons ! » 

 

   Il y a encore du chemin à faire.

   Quand on entre dans un labyrinthe, il faut s'attendre à croiser quelques minotaures.

 

   Direction la rue des teinturiers, rue de l'enfer pavé (pas forcément de bonnes intentions). Sur la route qui y mène, plusieurs personnes se permettent de me toucher. Souvent des adolescents, pour faire rire les autres. Deux petites filles me regardent, étonnées et souriantes. Regarde le roi-madame, je les entends dire à leur mère. Elles m'accompagneront quelques temps sur les teinturiers en me posant des questions. Pourquoi tu es habillé comme ça? Pourquoi il y a de l'eau dans tes chaussures ? Parce que je fonds, j'ai envie de leur répondre.

 

   Rue des teinturiers. C'est beaucoup plus difficile que la dernière fois. Nous avons bien mis entre 45 minutes et une heure pour la parcourir. La fatigue, le monde, la chaleur, la douleur.

 

   Faites l'expérience ! Habillez-vous d'une combinaison en vinyle rouge quelque peu voyante, chaussez-vous de talons d'une quinzaine de centimètres, coiffez-vous d'une couronne en plastique bon marché achetée à la Foir'Fouille et traversez la rue des teinturiers d'Avignon une après-midi de juillet après avoir reçu de gentils mots d'amour de la part de supporters compatissants. Vous en apprendrez beaucoup sur la nature humaine.

   J'ai appris beaucoup sur les pavés.

 

Les deux petites filles qui me sourient et m'accompagnent.

La voiture qui me presse d'avancer pour pouvoir circuler.

La dame qui me laisse passer en me disant que je suis beau.

La serveuse qui m'offre un coca quand je me suis allongé.

L'homme qui me dit en souriant : « ça ne tiendra pas ! »

Celui qui me demande s'il peut toucher en touchant.

Ceux qui me disent être impressionnés.

Celles qui me disent qu'elles ne pourraient pas le faire.

 

   J'ai pris mon temps. Sur chaque pavé j'ai pris mon temps. J'ai même pris des pauses et au final je suis arrivé au bout de la rue. Sans chuter. Ça a tenu monsieur, ça a tenu ! Malgré les bousculades et les regards malveillants. Malgré l'eau qui ruisselle de mon corps jusqu'à mes pieds. Ça a tenu monsieur, ça a tenu !

 

   En haut de la rue Guillaume Puy, quelques pas avant la fin de la procession, une silhouette me dépasse. Rouge, elle aussi. Une silhouette connue, qui me vient d'un passé que j'essaie d'éviter. Mais qui de tout évidence me rattrape de temps à autre. Je me revois alors comme à l'époque, Minotaure de moi-même, dévorant ce que je suis et m'affublant continuellement d'atroces noms d'oiseaux.

 

   On aurait dû lui dire... Icare, bois un coca. Et chante.

Dans le grand labyrinthe où je cherchais ma vie,
Volant de feu en flamme comme un grand oiseau ivre,
Parmi les dieux déchus et les pauvres amis,
J'ai cherché le vertige en apprenant à vivre.

J'ai cheminé souvent, les genoux sur la terre,
Le regard égaré, embrouillé par les larmes,
Souvent par lassitude, quelquefois par prière,
Comme un enfant malade, envoûté par un charme.

Dans ce grand labyrinthe, allant de salle en salle,
De saison en saison, et de guerre en aubade,
J'ai fait cent fois mon lit, j'ai fait cent fois mes malles,
J'ai fait cent fois la valse, et cent fois la chamade.

Je cheminais toujours, les genoux sur la terre,
Le regard égaré, embrouillé par les larmes,
Souvent par lassitude, quelquefois par prière,
Comme un enfant rebelle qui dépose les armes.

Mais un matin tranquille, j'ai vu le minotaure
Qui me jette un regard comme l'on jette un sort.


 

Dans le grand labyrinthe où il cherchait sa vie,

Volant de feu en flamme, comme un grand oiseau ivre,

Parmi les dieux déchus et les pauvres amis,

Il cherchait le vertige en apprenant à vivre.

 

Il avait cheminé, les genoux sur la terre,

Le regard égaré, embrouillé par les larmes,

Souvent par lassitude, quelquefois par prière,

Comme un enfant rebelle qui dépose les armes.

 

Dans ce grand labyrinthe, de soleil en soleil,

De printemps en printemps, de caresse en aubaine,

Il a refait mon lit pour de nouveaux sommeils,

Il a rendu mes rires et mes rêves de reine.

 

Dans le grand labyrinthe, de soleil en soleil,

Volant dans la lumière, comme deux oiseaux ivres,

Parmi les dieux nouveaux et les nouveaux amis,

On a mêlé nos vies et réappris à vivre...

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